Projection Salée #43 | « Grand Marin »

Pitch : 

Lili a tout quitté pour se confronter à son obsession : prendre le large.  Elle persuade Ian, capitaine de chalutier, de lui donner sa chance et s’embarque sur le Rebel. Solitaire et insaisissable, celle que l’on surnomme « moineau » est la seule femme de l’équipage. Mais sous une apparente fragilité Lili est déterminée à aller jusqu’au bout de sa quête et défendre sa liberté.

Avis de Pierre Marcel : 

Librement adapté du Best-Seller « Le Grand Marin » de Catherine Poulain sorti en 2016, ce film est une œuvre unique, incarnée, habitée par sa réalisatrice et interprète principale : Dinara Drukarova. C’est son premier long métrage.

Après six années à naviguer, pêcher et ressentir la vie en mer sur de nombreux navires partout en Europe, Dinara Drukarova réussit à partager avec le public ce qu’il y a de plus difficile au cinéma : transmettre une émotion forte et une certaine part de vérité, qu’elle soit dans les sentiments comme la maritimité.

Ce film transmet l’odeur du poisson que l’on éviscère. Il fait comprendre l’esprit d’équipage si important à bord d’un navire quel qu’il soit. Il nous place aussi dans les bottes d’une femme puissante au corps frêle. Illuminé par l’un des plus brillants chefs opérateurs de sa génération Timo Salminen qui est aussi le chef opérateur des films d’Aki Kaurismaki, l’image de ce film est loin d’une carte postale islandaise habituelle. Chaque plan du film y est ciselé mais jamais esthétisant, chaque cadrage raconte quelque chose. La côte brutale et magnifique de l’Islande interprète ici n’importe quelle côte du nord de notre planète. J’aurais aimé, parfois, que l’histoire nous laisse prendre un peu plus de souffle maritime, la mesure de l’océan n’est pas toujours au premier plan mais le parcours de cette femme pêcheur ne m’a jamais laissé à quai.

On ne connait pas le passé de son héroïne Lili et l’on ne saura rien de son futur. C’est au spectateur de l’imaginer et ça fait tellement de bien de ne pas être pris par la main par un cinéaste pour nous imposer une histoire. Ici la poésie et l’imaginaire vous sont servis avec des glaçons et de la rouille façon polaire. Certains y verront le portrait de la pêche moderne ou un aperçu de la vie proche du cercle arctique. Moi j’en retiendrais le combat personnel et intime d’une femme pour imposer son sillage.

Grand Marin est le film d’une vie, une vie de regard silencieux et d’eaux froides ou la chaleur des marins se gagnent par l’exemplarité et la bienveillance. Après avoir vu ce film, j’ai encore renforcé ma conviction que les femmes racontent souvent mieux les océans que les hommes, peut-être parce qu’elles n’y sont pas toujours les bienvenues.